MICHAEL CLAIR NOUS RACONTE LA CRÉATION DU SYSTÈME SCOLAIRE FRANCOPHONE DANS LA PROVINCE
CLAUDETTE CHUBBS NOUS RACONTE LES DÉBUTS DE L'ACCÈS À L'ÉDUCATION EN FRANÇAIS À L'ANSE-AU-CLAIR


MICHAEL CLAIR NOUS RACONTE LA CRÉATION DU SYSTÈME SCOLAIRE FRANCOPHONE DANS LA PROVINCE

À l'occasion du 30e anniversaire de la fondation de la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FPFTNL), on m'a demandé de faire un retour dans le passé et de fournir mes impressions des événements qui ont marqué les premiers jours de la Fédération.

Mes activités dans le milieu éducatif ont débuté en 1980 lorsque Paul Charbonneau, le directeur général de la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL), m'a demandé de m'impliquer dans un projet pour créer une école française à St-Jean. Ce fut mon initiation dans le monde de la revendication et des politiques publiques - qui est devenu mon domaine d'expertise aujourd'hui. Ma carrière est donc en grande partie grâce à l'intervention de Paul, qui demeure l'une des personnes qui a le plus influencé ma vie. Sa mort prématurée il y a quelques années représente une tragédie sans mesure pour la francophonie canadienne.

Mes premiers efforts de revendication furent donc pour l'établissement d'une école française à St. John's. J'ai eu le privilège d'être choisi comme le président fondateur de notre comité de parents. Notre petit conseil d'administration était sans grande expérience dans le domaine de la revendication politique et nous avons grandement bénéficié des conseils de Paul et de notre avocat, John Dawson.

Nous avions pu embaucher un avocat grâce au Programme de Contestation Judiciaire, un programme financé par le gouvernement fédéral dans la foulée de l'adoption de la Charte des Droits et des Libertés en 1980, qui permettait aux ayants-droits de revendiquer leurs nouveaux droits auprès des autorités. Ce fut ce programme qui rendit possible le dépôt d'une plainte auprès de la Cour Suprême de Terre-Neuve-et-Labrador  pour l'établissement d'une école française à St-Jean.

Trois parents se sont portés volontaires pour servir de plaideurs et la cause fut déposée à la Cour Suprême de la province. Je courais un risque personnel en supportant cette cause : en tant qu'employé du gouvernement provincial, je faisais partie du groupe qui intentait une poursuite judiciaire contre son employeur pour que ce dernier adopte une politique qu'il refusait d'adopter!

Mais j'ai eu la grande chance d'avoir, comme interlocuteur provincial, l'Honorable Loyola Hearn, Ministre de l'Éducation. M. Hearn m'a traité comme un citoyen déposant une requête raisonnable, et n'a jamais essayé de m'intimider d'aucune façon, ce qu'il aurait facilement pu faire. (J'étais, dans le temps, un employé junior et sans grande expérience à traiter avec des politiciens.) Je me rappelle même d'une longue discussion que nous avons eue dans les coulisses de l'Assemblée législative qui avait  duré plus d'une heure.

Cette longue discussion résulta dans la création d'un comité ministériel qui se réunit par la suite  à plusieurs reprises. La question principale était : avions-nous un nombre suffisant d'ayants-droits à Saint-Jean pour justifier une école française langue-première? Et si la réponse était "oui", cela soulevait un tas d'autres questions, telles que l'emplacement de l'école, le curriculum à adopter (celui du Québec? du Nouveau-Brunswick?), le financement, le mode de gestion par la communauté francophone, etc., etc.

L'évolution du projet de l'école française se fit sur plusieurs années. Durant ce temps, le comité des parents s'efforça de maintenir la cohésion parmi le groupe des parents, beaucoup desquels perdaient patience et dont certains ont inscrit leurs enfants dans le programme d'immersion française, faute de mieux. Le rôle du Gaboteur à assurer la communication durant cette période fut clé; le journal m'a offert une rubrique avec laquelle j'informais la communauté de l'avancement et de revers.

Nous avons finalement gagné notre cause et le gouvernement provincial, avec le conseil scolaire anglophone, établit la première école française de St-Jean  dans le sous-sol de l'école St-Patrick, sur la rue Merrymeeting, je crois en septembre 1988. Cette école hébergeait une école d'immersion française et nous partagions la même administration, ce qui causait quelques petits problèmes ici et là. L'école est maintenant disparue, remplacée par un supermarché Dominion.

Mon fils aîné, André, fut dans la classe inaugurale de première année, et son frère Luc le joignit trois ans après. Ils ont tous les deux passé plusieurs années à l'école francophone  mais ont fini leurs études au secondaire anglais, vu le manque d'écoliers francophones aux niveaux supérieurs durant les débuts de l'école. Je suis fier que mes deux garçons aient reçu une éducation en français car ça leur a permis de mieux connaître ma culture et mon histoire. Ils ont tous les deux maintenant une très bonne base en français. (Luc a même passé une année à enseigner l'Anglais dans un lycée en France.)

Saint-Jean était la quatrième communauté de la province à acquérir une école française. Nos trois prédécesseurs étaient les écoles de Labrador City (gérée par le conseil scolaire du Labrador), de Cap St-Georges et La Grand'Terre (gérées par le conseil scolaire de l'ouest de Terre-Neuve). Durant la période quand le comité de Saint-Jean  revendiquait son école, Paul Charbonneau rêvait d'un conseil provincial qui relierait ces quatre communautés.

C'est donc au milieu des années 80 qu'un comité de parents provincial s'est formé. Grâce au financement du Secrétariat d'État (qui éventuellement évolua en Ministère du Patrimoine canadien), qu'a pu être créé  un comité qui représentait les quatre communautés francophones possédant une école française, et ainsi fut née la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador, la FPFTNL. J'ai eu l'honneur d'être choisi comme président fondateur et je siégeait au conseil d'administration pendant deux ou trois ans.

Durant cette période, nos priorités étaient de se créer une constitution qui refléterait notre diversité géographique et qui serait flexible pour répondre aux changements futurs; de se faire valoir aux yeux du Ministère de l'Éducation; et de répondre aux besoins ressentis par nos parents et nos enfants. Ce fut une période d'apprentissage, d'expérimentation, de revendication, et finalement de succès. Nous avons organisé un grand nombre de réunions à travers la province, qui nous ont mis en relation étroite avec bon nombre de parents. Je retiens de très bons souvenirs de cette période.

Après plusieurs années d'implication dans le dossier, j'ai quitté la FPFTNL pour poursuivre ma carrière au gouvernement. Je ne faisais donc pas partie de la FPFTNL lorsque le Premier Ministre Brian Tobin annonça la création du Conseil Scolaire Francophone de Terre-Neuve et du Labrador en 1997.  Mais j'ai assisté à la conférence de presse annonçant la création et je me suis réjoui avec toute la communauté francophone.

Durant ma carrière au gouvernement provincial, j'ai œuvré en tourisme, en culture et aussi au centre du gouvernement, au Conseil Exécutif (le ministère du Premier Ministre). J'ai quitté le gouvernement en 2005 pour accepter un poste à l'Université Mémorial, où je travaille présentement. En fait, j'occupe le poste de Directeur adjoint pour les politiques publiques au Harris Centre. Je suis tout à fait sûr que je ne serais pas où je suis si je ne m'avais pas impliqué au sein des comités de parents francophones dans les années 1980.

Mon expérience comme membre du comité des parents à St-Jean  et comme membre de la FPFTNL fut un événement marquant dans ma vie. J'ai eu l'occasion de rencontrer des parents énergétiques, éveillés, engagés et collaboratifs. Je garde en mémoire des moments très chaleureux de tous mes collègues et, si j'hésite à les nommer individuellement, c'est tout simplement parce que j'ai peur d'en oublier, ce qui serait désastreux pour moi.

Je conclus en remerciant tous ceux et celles qui ont aidé à établir la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador, qui ont œuvré à soutenir l'organisme durant les  vingt-cinq dernières années, et qui encore aujourd'hui, s'assure de sa pérennité. Nos enfants ont bénéficié de vos efforts et continuent de le faire.

Et quel héritage que nous a laissé Paul Charbonneau!

Mike Clair

 

CLAUDETTE CHUBBS NOUS RACONTE LES DÉBUTS DE L'ACCÈS À L'ÉDUCATION EN FRANÇAIS À L'ANSE-AU-CLAIR
Claudette Chubbs, mère de famille, franchira la frontière Labrador-Québec pendant 9 ans pour permettre à ses enfants d'accéder à une éducation en français.

C'est à partir de la magnifique région de Red Bay que Claudette Chubbs, femme de conviction, nous raconte son histoire. Elle explique, non sans humour, comment elle a inscrit en 1991 ses jumeaux  à l'école Mgr Scheffer de Lourdes-de-Blanc-Sablon afin de leur assurer une éducation en français. Bien qu'ayant la peur au ventre d'être découverte dès le premier jour d'école des enfants, elle n'a jamais remis en question sa décision. Conduire ses enfants dans une école située dans la province de Québec exigeait de la volonté, de l'astuce et bien entendu un réseau. Ce sera donc par l'entremise de sa grand-mère, de ses oncles et de sa tante que les enfants feront le trajet vers l'école québécoise, matin et soir, 10 mois par année, pendant près de 9 ans. Ce n'est qu'en 1999 que Claudette  découvrira les droits des familles francophones relatifs au système éducatif en français.

La  découverte des lois sur la dualité linguistique et l'éducation en français

En 1999, Claudette contacte le Conseil scolaire anglophone du Labrador pour s'informer  sur la possibilité d'offrir à ses enfants une éducation scolaire en français. Celui-ci la dirige vers le Conseil scolaire francophone provincial qui a ouvert ses portes 2 ans plus tôt et la Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FPFTNL). Les parents francophones de l'Anse-au-Clair rencontreront par la suite Maurice Saulnier (directeur général du CSFP), Michel Doucet (avocat pour les parents requérants), et Danielle Savard (directrice générale de la  FPFTNL).

C'est devant la  cour d'Happy Valley-Goose Bay que la requête des parents sera déposée et que le droit  des parents de l'Anse-au-Clair d'inscrire leurs enfants à l'école de Mgr Scheffer au Québec sera confirmé.  Selon le souvenir de Claudette, le juge aurait, semble-t-il, mentionné que si un jour le nombre d'élèves augmentait, il pourrait être justifié de créer une école francophone dans cette région du Labrador.

La famille Chubbs n'était pas la seule dans cette situation, il y avait aussi la famille Kelly

Selon le souvenir de Claudette Chubbs, Peter Kelly, père de  3 enfants, habitait à Forteau. C'est avec conviction que celui-ci a défendu le dossier du transport scolaire en demandant à la province qu'il soit offert aux élèves allant à l'école francophone. La demande a été acceptée par le ministère de l'éducation.

La force des francophones

Cela n'a pas été facile tous les jours pour les jeunes élèves francophones de l'Anse-au-Clair. L'école anglophone est proche de toutes les familles de la région et la plupart des élèves se demandaient pourquoi ils devaient se rendre au Québec pour leurs études. Aujourd'hui, ils sont conscients du courage et de la persévérance de leurs parents et sont désormais fiers de parler couramment le français et l'anglais.  C'est un atout pour leur carrière professionnelle et une ouverture supplémentaire sur le monde.

Les familles francophones en contexte minoritaire sont, pour la majorité, des familles exogames. C'est avec le soutien sans faille de leur conjoint que Claudette et Peter ont pu permettre l'accès à une éducation en français pour leurs enfants. Ils ont aussi été pendant toutes ces années probablement les seuls parents aptes à soutenir les enfants pour les devoirs en français. Ces années furent parfois difficiles  mais indispensable pour permettre le plein épanouissement de ses enfants … dans la langue française et la culture francophone !

Le comité de parents francophones de l'Anse-au-Clair est devenu membre officiel de la FPFTNL en novembre 2000. En 2009, la Commission nationale des parents francophones (CNPF) en collaboration avec la FPFTNL décerne un prix spécial au comité de parents de l'Anse-au-Clair afin de souligner leur contribution exceptionnelle à la revitalisation du français et de la culture francophone. Aujourd'hui, 5 parents siègent sur ce comité et 14 enfants fréquentent l'école francophone. Un camp d'activités du samedi francophone est offert annuellement dans la région de l'Anse-au-Clair.

La Fédération des parents francophones de Terre-Neuve et du Labrador salue aujourd'hui le courage de ces familles, pour leur persévérance et leur  passion. Un tel dévouement au fait français et à la communauté francophone de Terre-Neuve-et-Labrador mérite le plus grand des respects. Bravo à tous les parents et merci à Claudette pour son témoignage.

Au moment d'écrire ces lignes, il était impossible de rejoindre M. Kelly. C'est donc sur la base de ses souvenirs que Mme Chubbs a pu nous informer sur cette partie de l'histoire du droit à l'éducation en français.